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Le Projet
L’énergie modèle nos société
Ce qui a permis à nos sociétés occidentales de devenir ce quelles sont, avec le développement de l’industrie, puis des secteurs tertiaires accompagnés de la santé, de l’éducation et des loisirs n’est autre que la libération et l’exploitation d’immenses quantités d’énergie presque gratuites, d’abord sous frome de charbon puis essentiellement de pétrole. Les adjectifs immenses et gratuites comparent l’énergie fossile à la seule énergie disponible avant la révolution industrielle, l’énergie métabolique quelle soit d’origine humaine ou animale. Un être humain travaillant un jour sur deux peut développer au maximum une énergie mécanique de l’ordre de 100 kwh/an avec ses jambes mais plutôt de 10 kwh/an avec ses bras. Si il coute 20000 euros/an (environ un smic) le prix de cette énergie est de 200 à 2000 euros/kwh. 1l d’essence contient 10kwh d’énergie dont un moteur peut tirer presque 4kwh d’énergie mécanique. Même avec un prix de 2 euros le litre d’essence, cela revient à 0,5 euros/kwh d’énergie mécanique soit 200 à 2000 fois moins cher que l’énergie humaine ! [1]
Les photos ci dessous illustrent ce phénomène de libération des tâches agricoles à travers deux actions agricoles similaires, la moisson et le fauchage, réalisées avec un siècle d’écart. Ce qui diffère entre les deux époques est l’équipement et surtout l’origine et la quantité d’énergie (et par conséquent le nombre de personnes nécessaires) utilisée pour réaliser ces actions.
L’économie moderne repose essentiellement sur cette donnée là, et par conséquent elle est complètement dépendante de son approvisionnement énergétique, qui est aujourd’hui majoritairement sous forme d’hydrocarbure comme le montre ci-dessous le graphique représentant la part de chaque énergie dans l’approvisionnement de la France [2].
Lorsque l’on essaye de se projeter dans le futur de nos sociétés, plusieurs questions nous viennent ainsi à l’esprit avec peut-être celle qui les cristallise toutes : Si ce pétrole (et plus largement les hydrocarbures) est si indispensable pour notre modèle de société, sommes nous assurés d’en bénéficier avec la même facilité et abondance dans les prochaines décennies ?
Le pic pétrolier (ou pic de Hubbert)
Le concept de pic pétrolier qui peut être étendu a toute autre ressource terrestre, a été suggéré pour la première fois dans les années 1940 par le géologue Marion King Hubbert . Le concept ne porte en lui même aucune complexité, contrairement aux questions qu’ils soulèvent et à ses conséquences sur le développement des sociétés humaines.
Il peut s’introduire sous cette forme la plus épurée. On sait que le pétrole est une ressource qui s’est formée par décomposition de biomasse sous les hautes pression du sous sol et cela pendant des millions d’années. Relativement à cette durée, la période de réflexion sur laquelle nous nous basons et qui est de l’ordre de quelque siècles est très courte et on peut donc considérer que les ressources terrestres sont constantes et finies (on ne s’attardera pas à démontrer ici que la Terre est finie et que par conséquent toutes les ressources géologiques qu’elle contient sont finies).
Avant l’exploitation de la ressource, l’extraction est nulle. Lorsque la ressource est épuisée l’extraction devient nulle aussi. Au milieu vous avez une courbe de production qui fluctue et qui passe par un maximum absolu. Ceci est une vision très mathématique du pic pétrolier qui voit la production de pétrole comme une courbe, passant mathématiquement par un maximum global qui est le pic pétrolier.
Jusqu’à ces dernières années l’extraction de pétrole s’est révélée croître d’année en année. Une telle situation ne peut perdurer que si vous trouvez chaque année plus de ressources que vous n’en exploitez. Or ce n’est plus le cas depuis les années 80. Pour la première fois certains pays producteurs ne peuvent pas faire face à la demande et de plus en plus de pays passent du camp des exportateurs vers le camp des importateurs. Le graphique ci dessous est une modélisation de la production mondiale de pétrole en fonction du temps, réalisée par l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil) selon les méthodes développées par Hubbert.
D’après cette modélisation nous serions actuellement sur un plateau en ce qui concerne le pétrole dit conventionnel et nous atteindrions bientôt le pic global pour la totalité des ressources mondiales de pétrole.
La notion de Taux de Retour Energétique (TRE) appliquée au pétrole.
Grâce au système économique mondial en place, certains pensent que l’augmentation des prix du pétrole permettra des investissements plus importants dans la recherche de nouvelles technologies qui permettront à leur tour de découvrir de nouveaux gisements et surtout de les exploiter. Des prix ajustés assureront une rentabilité, des investissements et donc un approvisionnement de nos sociétés en pétrole. Mais quels seront ces prix ?
Sans compter qu’une autre grandeur analogique à la rentabilité financière, que l’on pourrait appeler la rentabilité énergétique, intervient dans l’intérêt que revêt un nouveau gisement. Cette grandeur appelée Taux de Retour Energétique est égale au rapport entre l’énergie utilisable et l’énergie investie pour la produire. Pour une source d’énergie primaire donnée, on a gain d’énergie lorsque ce taux est supérieur à 1.
On estime qu’au début du 20e siècle, lorsque les grands gisements facilement accessibles étaient exploités, le TRE du pétrole était de 100. On découvrait très régulièrement de nouveaux gisements et pour caricaturer, il suffisait de planter un tuyau dans le sol pour faire jaillir le précieux or noir et obtenir ainsi de grandes quantités d’énergie à moindre efforts.
Au cours du 20e siècle, plus les gisements se sont révélés difficiles à exploiter plus leur TRE a diminué pour arriver aujourd’hui autour de 5 en moyenne pour les sables bitumineux et autres sources de pétrole non conventionnel [3] qui nécessitent des techniques d’exploitation beaucoup plus complexes, énergivores et dangereuses pour l’environnement.
Comme on peut le voir sur le graphique ci dessous [4] la pire des sources d’énergie actuelle en terme de TRE est l’éthanol de maïs, un argrocarburant, qui selon le Departement Agricole Américain posséderait un TRE de 1,3 (certaine études font même souvent allusion à un TRE<1).
Ce qu’il faut bien voir c’est qu’une énergie qui possède un TRE de 1, est une énergie qui oblige à réinvestir toute l’énergie produite dans sa propre production et qui par conséquent n’apporte aucune énergie supplémentaire disponible à notre société. D’après une étude publiée 2009 [5] il existerait même un seuil de TRE à ne pas dépasser pour maintenir nos sociétés en leur état et ce seuil serait autour de 10.
Prise de conscience ou laisser faire ?
Une production qui ne pourrait pas satisfaire la demande et ceci sur le long terme est une situation nouvelle pour nos économies. Selon Jean-Marc Jancovici, ingénieur consultant indépendant, il y a un début de prise de conscience de certain décideurs économiques (toujours selon leur propre intérêt) dont l’activité pourrait être menacée mais il reste très difficile de pénétrer la sphère politique. A ce propos une Tribune signée par plusieurs experts du domaine avait été publiée dans le journal Le Monde du 22 mars 2012 [6], et invitait les candidats à l’élection présidentielle à prendre en compte cette thématique et à se prononcer dans leur programme. Force est de constater que la question ne fût pas réellement présente dans les programmes ni dans les débats.
La raison principale est probablement un manque de courage politique, car les perspectives peuvent sembler effrayantes aux yeux de la population. Celle ci craint surement de devoir changer ses comportements et ses habitudes de confort et il est électoralement peut recommandé de jouer sur ce terrain.
Aujourd’hui, du à un manque d’information et de sensibilisation, il semblerait que peu de nos concitoyens savent ce qu’est vraiment l’énergie, l’importance qu’elle occupe dans le fonctionnement de nos sociétés et les mécanismes qui régissent son approvisionnement. Ainsi en mars 2012 dans un sondage réalisé par le CSA pour TerraVova/ClimateWeek, 66% des sondés estimaient que l’on ne parlait pas assez de politiques énergétiques dans les débats de la présidentielle. Et en septembre 2012, dans un sondage Ifop pour Le Monde, c’est 55% des sondés qui avouaient ne pas savoir de quoi il s’agissait lorsque l’on parlait de gaz de schiste [7].
Nous avons été jusqu’à présent dans une ère d’abondance et chacun de nos désirs énergétiques est assouvi, moyennant finance. Pour faire rouler une voiture il suffit de se rendre à une pompe à essence, l’éclairage public fonctionne toutes les nuits, un ménage peut se servir d’autant d’appareils électroménagers qu’il le désire, etc. Les entreprises et industries ne voient jamais leur production diminuer parce qu’elles n’ont pas accès à toute l’énergie dont elles ont besoin.
La question de l’énergie pour notre société ne s’est encore jamais posée du côté de la capacité de l’offre à suivre la demande. Ce qui en limitait l’accès à certains était plutôt le coût de celle-ci, considéré comme élevé alors que l’on a vu au dessus que ce n’était pas le cas (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’inégalité dans l’accès à l’énergie).
Et après, la résilence ?
Ce que serait notre société si on lui coupait du jour au lendemain ses vivres pétrolières est assez difficile à imaginer tant tout autour de nous en dépend. Ce scénario n’est bien sûr pas réaliste puisque probablement nous connaitrons une diminution progressive de la production couplée avec un envolement des prix qui aggraveront les inégalités entre les pays et au sein même de ceux ci. Il sera alors grand temps de se poser des questions quasi-existentielles à nos sociétés. Comment partage-t-on ce qu’il reste de ressource ? Vers quelle fonction prioritaire de nos sociétés nous orientons les ressources ? La santé, l’agriculture ou la défense, les loisirs ? La loi du plus offrant fera-t-elle toujours référence ?
Certains ont déjà commencé à penser à cet après pétrole et ont appliqué le principe de résilience à nos sociétés. Ce concept que l’on retrouve dans beaucoup de domaines différents (psychologie, physique, écologie, économie) caractérise la capacité d’un système à retrouver son fonctionnement après un choc ou une pertubation. Lorsque l’on parle d’une société résiliente au pic pétrolier, c’est une société qui est en mesure d’assurer ses fonctions vitales après la rupture que représente le manque de pétrole. Cette idée est la ligne directrice du mouvement des Villes en Transition (vers une ère post pétrolière) [8]. De nombreuses actions concernant des domaines divers et variés sont mises en place sur ces territoires, mais l’idée centrale de celles-ci est la re-localisation. Re-localisation de l’économie avec la création de monnaies locales favorisant les échanges de proximité, re-localisation des moyens de production énergétique permettant une appropriation par les citoyens choisissant des solutions plus respectueuses de leur environnement. Le secteur de l’agriculture est bien sûr souvent une priorité avec la mise en place de circuit court, favorisant l’installation d’une agriculture extensive peu consommatrice en ressources. D’autres actions plus originales ont souvent valeur pédagogique, telles que le remplacements des plantes d’ornements par des plantes vivrières et des arbres fruitiers ou le ramassage scolaire qui s’effectue à l’aide de pédibus ou de vélibus.
Beaucoup de sources différentes et surtout représentant des intérêts différents (des ONG environnementales au major du pétrole en passant pas des groupes d’experts et des consultants indépendants) s’accordent sur le fait que si nous ne sommes pas au pic pétrolier aujourd’hui, celui-ci surviendra dans la prochaine décennie. Ceci est l’entrée dans une ère nouvelle pour nos sociétés et leurs économies. Il serait grand tant d’envisager le plus tôt possible une réponse à ce bouleversement, ou le règlement de la crise engendrée risque de ne pas se passer dans la joie, la bonne humeur et la convivialité.
Témoignages
Notes:
[1] Les données servant à ces calculs sont issus d’une présentation effectuée par Jean-Marc Jancovici devant la commission développement durable de l’assemblée nationale le 6 février 2013.
[2] Jean-Marc Jancovici, www.manicore.com
[3] Nates Hagen, Unconventional oil : tar sands and shale oil, EROI on the web, The Oildrum,
URL : http://www.theoildrum.com/node/3839
[5] Hall, Balogh et Murphy, 2009
[7] http://www.sondages-en-france.fr/so...é/Energies